Chamanisme chemin d extase ; Rituel : au delà du symbolique

   

Troisième partie :

Je sautai sur lui, le secouai par les épaules, et je ne pouvais que lui crier : « Pourquoi, pourquoi ? »

Il me répondit gravement :
« C’est vrai. Mais vous devez maintenant penser : comment ? »1


Dis-moi, mon ami :
est-ce que tu élèves ton fils ? L’obliges-tu à faire ce qu’il doit ?
Le corriges-tu ? Le punis-tu ?

Non, Vasudeva, je ne fais rien de tout cela.

J’en étais sûr. Tu ne le contrains à rien, tu ne le bats pas, tu ne le commandes pas, parce que tu sais que la tendresse est plus forte que la dureté, que l’eau est plus forte que le rocher, que l’amour est plus fort que la violence. C’est très bien et je t’approuve. Mais ne te trompes-tu pas en t’imaginant que tu n’exerces sur lui aucune contrainte, que tu ne lui infliges aucune punition ? Est-ce que ton amour même n’est pas un lien avec lequel tu le ligotes ? Est-ce que tu n’aggraves pas toi-même son état, ne lui rends-tu pas la soumission plus difficile en le forçant à rougir de soi-même, par ta bonté et ta patience ? Ne contrains-tu pas ce garçon, orgueilleux et gâté, à vivre dans une cabane en compagnie de deux vieux mangeurs de bananes pour qui un plat de riz est encore une friandise, dont les pensées ne peuvent être les siennes, dont le coeur s’est calmé avec les années et cherche d’autres satisfactions que le sien ? Est-ce que tout cela n’est pas une contrainte, une punition ?2


Je me réveille.

L’expérience fût foudroyante, initiatique, plus aucun retour en arrière ne m’est possible !

Je sais et je sens bien que ce n’est là qu’un premier pas sur ma voie… mais quel premier pas !

J’ai trouvé avec cette plante une véritable maîtresse. Elle a pris soin de moi, m’a enseigné.

Il a pris soin de moi également pendant toute la cérémonie. Mon bon vieux Ramalec était là, comme il l’a toujours été jusqu’à aujourd’hui. Il a tellement pris soin de moi, pendant tout le voyage avec la plante, il a tellement pris soin de moi toutes ces années. Ma relation à l’espace et au temps est différente maintenant, et j’ai envie de dire, même si cela peut paraître étrange, qu’il a toujours pris soin de moi, depuis bien avant que je ne le rencontre.

Dans ma transe, dans cette autre réalité parfois c’était lui, parfois c’était moi, parfois c’était encore un troisième. Toujours chacun prenant soin. Ma vision de l’individu est tout autre maintenant que je nous sais non séparés.

Cependant, d’une certaine façon, je suis seul. Ramalec vient de quitter les lieux. Il s’en retourne. Sa tache, mon initiation, est accomplie. Je sais où il rentre. Je sais d’où il va prendre soin de moi maintenant et pour toujours.

Je sais aussi où je pourrais m’en retourner si besoin était.

Mais je sais que ma route, ma voie est devant, au loin. C’est un peu comme si Ramalec, et avec lui tous les Yogis, avaient explorés l’intériorité infinie. C’est un peu comme si j’avais pour ma part, comme tous les Chamans, à explorer l’univers extérieur tout entier.

Aucun n’étant dupe que le magnifique patio, joyau au coeur de la demeure, deux portes qui se font face, l’une à l’est, l’autre à l’ouest, qui toutes deux s’ouvrent sur la merveille.

C’est avec tout ce qu’il m’a transmis, avec tout ce que j’ai découvert, avec tous mes alliés, plantes, animaux, esprits, et avec plus encore d’enthousiasme, d’innocence, de crédulité que de courage, que je marche ma voie, seul, maintenant.

3.a) Rituel : au delà du symbolique

Marcher sur le chemin exige une intrépidité indomptable, il ne faut jamais vous retourner sur vous-même de ce mouvement mesquin, petit faible et laid qu’est la peur.

Un courage indomptable, une sincérité parfaite, un don de soi total, au point que vous ne calculez pas ni ne marchandez, que vous ne donnez pas dans l’idée de recevoir, que vous ne vous offrez pas dans l’intention d’être protégé, que votre foi n’a pas besoin de preuves – tel est l’indispensable pour avancer sur le chemin : cela peut vous abriter de tous les dangers.3

Je me souviens avec attendrissement de mon départ de la Kumbh Mela, d’avoir quitté tout ce monde, tout mon ancien monde, et de mes premiers pas dans un monde plus vaste encore. Depuis ce moment, je vais seul, et je n’ai jamais revu Ramalec. Je le porte simplement et toujours dans mon cœur, comme une icône. Me souviens-je seulement de son véritable visage ?

Le temps a passé, j’ai eu besoin de voyager. J’ai eu besoin de quitter l’Inde.

J’ai eu besoin de suivre cet appel puissant, cette nécessité de faire de ma vie ma voie. C’était une véritable exaltation qui me portait alors, un vent de liberté, la fraîcheur des premières fois. D’un pas décidé : « suivre ma légende personnelle » (comme le dit Paulo Coelho). C’est peut-être cela aussi que les Sioux Lakota appellent « marcher sur la piste rouge, celle qui a du coeur ».

Ma route m’a conduit auprès de bien des peuples, et à chaque fois j’y ai découvert des pratiques, des traditions et des rituels différents. J’y ai trouvé le plus souvent des personnes sincères, engagées, … parfois aussi des êtres aussi perdus que moi et pire encore trop souvent de ceux qui croyaient être arrivés quelque part ! Je m’émerveillais alors de constater des formes si différentes dans des cérémonies toujours renouvelées. Je trébuchais aussi bien souvent sur des formes qui m’apparaissaient comme paradoxales… comment s’y retrouver ?

Au début, j’aimais les grands événements. L’impression de communier avec le plus grand nombre, me laissait espérer que j’étais sur la bonne voie. Après la Kumbh Mela, j’étais rôdé ! Et il est dans chaque culture que je croisais, fusse-t-elle chamanique ou pas, des événements et des traditions assez importantes pour rassembler plusieurs milliers de personnes. Je pensais qu’autant de personnes ne pouvaient se tromper en même temps, évidemment !

Bien vite, il m’apparut que le nombre n’était pas forcement synonyme de qualité, tout comme la grandiloquence n’allait pas de pair avec la profondeur. J’ai alors rencontré un être spirituel qui tentait de s’incarner en étant chorégraphe, Pierre Deloche, dont la devise était : « plus le geste est simple, plus le mystère est grand ». J’ai fait mienne cette devise quelques temps, le temps de le voir s’en retourner…

Mon envie était grande de me retirer d’une façon ou d’une autre aussi.

Ce n’est pas au monde qu’on doit renoncer mais à l’ignorance. Renoncer au monde ce n’est pas « Sannyâs ». Par contre, éveiller sa conscience, se connaître soi-même est « Sannyâs ». Cet éveil conduit à une renonciation qui n’est pas une renonciation au monde mais à l’attachement qu’on lui voue. Dans cette démarche, le monde reste où il est et tel qu’il est, mais nous sommes transformés et dans ce nouvel état, il n’y a rien à rejeter. Ce qui est sans utilité et superflu disparaîtra de lui-même, automatiquement, comme un fruit mûr tombe de l’arbre quand le temps est venu. Comme l’obscurité disparaît quand la lumière arrive, quand l’être s’éveille, l’impur laisse la place au pur. Sannyâs n’est pas une fuite du monde mais une transformation intérieure qui nous fait voir le monde différemment… S’accrocher au monde extérieur, c’est être ignorant et essayer d’y renoncer, c’est également être ignorant, car dans les deux cas, on agit par rapport au monde, en fonction de lui. L’attachement et le dégoût du monde sont tous deux ignorance, ils sont le signe d’une relation positive ou négative avec le monde. Cest la transcendance de cette relation qui est liberté, au-delà de l’attachement et de l’aversion commence Sannyâs. Cette transcendance n’est atteinte qu’à travers la Conscience. Cette conscience est d’abord conscience de soi puis elle devient Conscience du Soi qui est en nous l’Etre pur, la Conscience pure, le témoin de ce qui est.4

Maintenant je sais que, toute proportion gardée, comme dans la Baghavagita, ma voie est celle de l’action, auprès des autres humains, dans la société, avec femme et enfants, tel un prêtre-ouvrier, tel mon autre maître et ami le moine-danseur Santiago Sempere. Ce n’est peut-être pas une voie facile non plus ?

Bien sûr m’abandonner exclusivement à la vie profane ne me suffit pas ; je m’adonne donc à quelques pratiques régulières : Yoga, danse, pratiques chamaniques, etc …

J’ai en mémoire les pratiques chamaniques que m’a transmises Ramalec, et celles plus yogiques dans lesquelles j’ai baigné pendant mon enfance. J’aime à m’y livrer, car elles me centrent, et font partie d’une sorte d’hygiène de vie. Je sens aussi le risque pointer déjà que mes pratiques ne deviennent qu’une sorte de gymnastique ou d’hygiène quotidienne.

Tout cela ne me suffit pas non plus ! Parfois, il m’arrive de penser que : pratiquer ce n’est au final que de s’occuper de soi même, au risque de se donner trop d’importance ?

Alors en plus de mes pratiques, j’introduis et je m’essaye de plus en plus à quelques rituels ;

C’est comme si le rituel en me reliant, me permettait de m’oublier un peu, me permettait de passer du développement personnel, au développement impersonnel. Au delà des simples pratiques, le rituel et la cérémonie me paraissent maintenant impliquer un au-delà de moi. Cet au-delà de moi peut prendre la forme de ceux qui ritualisent avec moi, de mes proches, de ma tribu, de la société dans laquelle je suis, mais aussi de la nature, des esprits, ou d’autres choses plus vastes encore qui me dépassent.

La plupart des rituels que je pratique maintenant sont inspirés. C’est-à-dire qu’ils prennent leurs racines dans une tradition chamanique, mais ne sont pas copiés ou calqués. J’ai trop vu de rituels dogmatiques perdre toute leur force et figer à leurs suites les pratiquants dans un ennui mortel, si loin du sacré de la vie. Il existe donc un fil tenu entre respect, hommage aux traditions et spontanéité de la vie. Me voilà donc promu au rang d’apprenti équilibriste.

J’implore : Que mes rituels soit simples, respectueux, inspirés, engagés et totaux.

Comment faire pour réinventer une salutation au soleil renouvelée chaque matin ? Comment faire pour que mon rituel de par le sens profond qui est le sien, m’indique la direction où m’engager plus avant, plus totalement.

Ce changement est rendu possible par deux qualités de la conscience: l’attention et l’intention. L’attention énergétise, et l’intention transforme. Tout ce à quoi vous portez attention grandit. Tout ce à quoi vous ôtez votre attention pâlit, se désintègre et disparaît. L’intention, elle, agit sur la transformation de l’énergie et de l’information. L’intention organise sa propre réalisation. 5

En cela la symbolique et la psychologie peuvent être un premier pas.

J’ai maintenant assez intégré de bases en psychologie pour savoir utiliser les symboles dans mes pratiques rituelles.

Les symboliques s’associent facilement à l’imagination et avec une attention soutenue, j’ai là les fondations de ce qui soutient ma vision du rituel : symboles, imagination et attention sont trois piliers, mais ils ne sont pas encore véritablement le rituel.

Nous autres, Indiens, vivons dans un monde de symboles et d’images où le spirituel et l’ordinaire des jours ne font qu’un.6

J’ai aussi un peu d’expérience, ce qui me permet de me référer à d’autres pratiquants et de constater avec eux, que le rituel commence là où s’arrête la simple pratique, là où s’introduit un espace transpersonnel.

La communication entre les différents états d’être, entre les hommes, les esprits et les dieux ne peut être réalisée qu’au moyen de techniques spéciales appelées rites qui utilisent les failles, les points de jointure invisibles où la communication entre divers mondes est possible. Ces points sont indiqués par des signes, des formes, certaines dispositions d’éléments que l’on peut appeler des symboles.

En disposant d’une certaine façon des éléments divers (transistors, circuits imprimés, éléments énergétiques), nous prenons conscience des messages transmis par les ondes hertziennes, présentes partout autour de nous et pourtant non perçues. C’est, selon un principe analogue, que l’utilisation d’un assemblage d’éléments de formes, de sons et d’énergie, va nous permettre de communiquer avec des états d’être normalement imperceptibles à nos sens. C’est là le rôle que l’on pourrait appeler véhiculaire des rites.

Les rites utilisent en général trois composantes principales qui sont des éléments géométriques ou numériques appelés yantras, des éléments sonores et rythmiques appelés mantras, et des actes symboliques appelés tantras qui incluent certains gestes (mudras).

/…

L’adepte doit découvrir dans le monde où il vit et en lui-même les points de contact ou d’attache avec d’autres mondes. Il doit savoir reconnaître dans le monde minéral, végétal, animal, à la surface de la terre et dans son propre corps, ces formes, ces points par où pénètrent en lui et dans le monde les énergies fondamentales dans lesquelles se révèlent la pensée, la nature et l’action du Créateur. Une fois déterminés ces points névralgiques, sortes de portes étroites entre deux mondes, le mécanisme des diagrammes, des sons, des formules, des rythmes, des actions et des gestes, permet d’en forcer l’entrée et d’établir la communication. 7

Dans cette forêt, une belle pierre est mon autel. Le vent, mon mantra. Le soleil dans les feuillages sont mes vitraux. La bougie, le phare, la conscience et/ou la Conscience. Un rituel peut commencer là.

Le rituel, en incarnant concrètement des symboles ou des actions magiques, en « jouant des opérations » typiques du monde du rêve, ramène celui-ci par résonance dans le monde, dans le corps, et dans la personnalité. Il peut être considéré comme une forme de recouvrement d’âme, lorsqu’il ramène des parties du monde du rêve dans la personnalité. Il peut être à l’origine de synchronicités, lorsqu’il ramène des parties du monde de rêve dans la réalité matérielle. Il peut connecter la réalité consensuelle avec le monde de l’Esprit ou des esprits.8

Je suis quelque part in-delà des symboles qui rassurent le mental, et j’y redécouvre un espace des plus intimes, donc paradoxalement, j’y redécouvre l’espace universel.

Peût-être n’est ce que cela la transsubstantiation ? Peut être qu’à force d’être aimé, le doudou de l’enfant, au-delà de l’objet transitionnel qu’il est, devient-il réellement porteur intrinsèque d’un véritable amour ? La bougie devient-elle réellement conscience ? La pierre : grand-père. la terre : grand-mère ?

Devient, ou retrouve sa juste place ?

Presque universellement, L’Est est le symbole du renouveau, de l’action, du masculin, l’Ouest de l’introspection, de l’invisible, du féminin. Le symbole, aussi universel fut-il, est encore dans ma tête. Pourtant, en Chamanisme, quand j’appelle, j’invoque, je rend grâce et je remercie les directions, je ne parle plus à des symboles… mais à quelque chose d’autre, extérieur à moi, pure énergie, vie, réellement agissant…

… Et c’est alors qu’elles commencent à venir, les directions, les énergies, les différentes formes qu’Il prend.

Car, par la force du rituel, un objet quelconque incorpore la divinité, un « fragment » (dans le cas du sacrifice védique, la brique de l’autel) coïncide avec le « tout » (le Dieu Prajâpati), le Non-Être avec l’Être. Considéré de ce point de vue (de la phénoménologie du paradoxe), le samâddhi se situe sur une ligne connue dans l’histoire des religions et des mystiques : celle de la coïncidence des contraires. Il est vrai que cette fois la coïncidence n’est pas seulement symbolique, mais concrète, expérimentale.9

Le symbole qu’est le Linga et le Shiva qui est symbolisé ne sont pas deux entités différentes. Le Symbole du Linga est moi-même. Il permet aux adorateurs de s’approcher de moi. Il est digne de vénération. 10

1René Daumal – Le Mont Analogue – Gallimard – p149

2Siddhartha de Hermann Hesse

3Message de Mère pour l’anniversaire de la rencontre de Sri Aurobindo et de Mère. L’Agenda de Mère, Tome 2. 1961. Institut de recherches évolutives. p163

4Extrait d’un discours donné par Bahagwan Shree Rajneesh (Osho) rapporté par Jean Jacques Rigou – Sannyâs sur la voie du Tantra – Edition Leda – p168-169

5Deepak Chopra – Les sept lois spirituelles du succès

6(Black Elk) Héhaka Sapa, guerisseur Sioux – Élan Noir parle, Le Mail, 1993, cité par Jean Biès dans Les Grands Initiés du XXe siècle, p. 113-114

7Shiva et Dionysos. Alain Daniélou. Fayard. P 225-226

8Dr Olivier Chambon – Psychotérapie et Chamanisme – Editions Vega – p320

9Patanjali et le Yoga. Mircea Elidae. Sagesses. Points. p98

10La légende immémoriale du Dieu Shiva. Le Shiva-purâna. Traduit du sankrit, présenté et annoté par Tara Michaël. Connaissance de l’Orient. Gallimard. P101

Ce Chapitre est extrait du livre:
CHAMANISME, chemin d’extase.
YOGA, chemin d’enstase

les-Forges-de-Sylva avec Eric Sunfox Marchal ; Accompagnement et Chamanisme